Chronique de Jean-Yves Bourgain. 

Quatre mois déjà. Quatre petits mois que j’habite à Casablanca. Dans le quartier 2 mars. Rue Salonique. Tu sais, la petite rue qui part à gauche juste après le lycée Mohamed V, quand tu viens du rond-point d’Europe…

20141201_075637Ce qui m’a marqué quand je suis arrivé à Casa la première fois, en plus du nombre incalculable de rues qui portent des noms de régions françaises, c’est le nombre de commerces, de fast foods, de banques… Surtout les marques occidentales. Regarde, rien qu’ici, à 2 mars, t’as un KFC à côté de Pizza Hut, en face du McDo et de la Société Générale, sur le même trottoir que Acima (filiale marocaine d’Auchan), en face de Joué Club et du Crédit du maroc (filiale marocaine du Crédit agricole), pas loin de Pomme de Pain… Et encore, je t’ai pas parlé du centre-ville ! Là-bas, c’est carrément Mauboussin, Gérard Darel et compagnie ! Donc à la base, quand t’arrives à Casa, t’as pas trop l’impression d’être au Maroc. Tu te croirais plutôt à Paname !

Mais quand tu regardes de plus près, tu vois des choses que tu trouves pas en France. Les gardiens de trottoir, par exemple ! Sur chaque trottoir, t’as un gars qui guette les voitures qui cherchent une place, les aide à faire leur créneau et sont toujours là au moment où elles repartent pour récupérer leur pièce. Quitte à les courser hein, quand les chauffeurs font semblant de pas les avoir vus !

Tu vois plein de petits boulots comme ça, quand t’es un peu plus attentif. Les vendeurs ambulants par exemple. Les vendeurs « à la sauvette », comme on dit, sauf qu’ici, ils se sauvent tellement pas que tu les trouves tous les jours au même coin de rue !

Lui, par exemple, le jeune que tu vois, posé avec son caddie juste en face d’Acima, casquette-jean-baskets-veste-en-cuir, il vend des DVD gravés à 5 dirhams le film (environ 50 centimes d’euros) et à 20 dirhams la série, enfin, 20 dirhams la saison complète d’une série (à peu près 2€ donc). Je connais pas son nom mais c’est mon pote, lui. Il me voit souvent ! Et quand le DVD marche pas, il me le change, sans souci. Ça marche bien son petit business. Y a tout le temps du monde.

L’autre jeune, là-bas, jean-baskets-pull-en-laine-parce-qu’il-commence-à-cailler-sec, juste à côté de la boulangerie, avec son chariot, il vend du pain. Les pains ronds là, tu vois ou pas ? Y en a certains aux céréales, avec des graines au-dessus. Super bons… Surtout quand ils sont chauds ! La croustillante croûte qui se mêle au moelleux de la mie, hum… Je sais que tu sais que j’aime ce goût-là !

L’homme que tu vois passer là-bas, la soixantaine bien tassée, casquette-rouge-veste-de-costume-pantalon-à-pince-baskets, qui pousse son chariot en criant « Béééééd ! » toutes les quinze secondes, il vend des œufs durs lui. Il peut te faire des sandwichs si tu veux, dans un demi pain rond comme ça, justement…

Alors les petits fruits verts que tu vois là sur l’autre chariot, enfin, verts à l’extérieur mais jaunes à l’intérieur, enfin parfois verts parce que t’en as aussi des violets, enfin je sais pas si c’est quand ils sont pas mûrs ou quoi mais bon, bref, ces fruits-là, c’est des figues de barbarie. Tu connais pas ? C’est pas mal aussi ! La première fois que j’en ai mangé, je crachais les pépins dans la rue et je me disais bien que les gens me regardaient bizarre… J’ai compris trois jours plus tard que tout s’avale dans le fruit en fait !

L’autre, là-bas, la trentaine, jean-noir-chaussures-en-cuir-noir-bien-solides-petit-pull-et-blouse-blanche-en-coton-par-dessus-pour-pas-se-tacher-j’imagine, il vend du nougat, de différentes sortes. Du mou, du dur, du marron clair, du blanc… Il a sa balance et t’achètes la quantité que tu veux. Le vendredi, en revenant de la mosquée, tu le vois souvent à côté du rond-point là-bas. Chaque vendredi, je me dis que j’en achèterai le vendredi suivant. Lui aussi, il a l’air de bien marcher son business. Surtout le vendredi !

Comme le gars en khamis noir (tu sais, l’habit de prière long là, qui descend jusqu’aux chevilles), sandale-en-cuir-chaussette. Chaque vendredi, il est à ce coin de rue. Juste après le rond-point. Lui, il vend de la salade de fruits. Il remplit les ramequins à ras bord et tu vois toujours une dizaine de clients autour de son stand.

Eux, les deux avec leur jogging et leur veste sales, leurs sandales en plastique, leur sorte de petit tabouret et leur brosse, c’est des cireurs de chaussures. Parfois, t’en croises des super jeunes, du genre 12-13 ans… Mais t’as aussi des adultes. Comme lui, là-bas. Tu vois au café, le gars assis, un peu gros, en costume-cravate-ça-se-voit-qu’il-l’a-payé-cher, qui lit son journal ? Regarde son pied gauche : voilà.

Les cafés, justement. C’est ça aussi, l’avenue 2 mars. Regarde, t’en as un là, un là, un là-bas, bref un à chaque coin de rue presque. Tu vois des gens toute la journée au café. À toutes les heures, t’en vois prendre du thé ou du café. Ma voisine, elle a dit à ma femme que c’est un taf pour certains. Pas de servir le thé, hein ? De se poser au café toute la journée, et de parler des gens qui passent ! Bon, tu me diras, des cafés, t’en vois aussi plein à Paris… Mais ce qui est bien ici, contrairement à Paris, c’est qu’ils font pas de chichis dans les cafés : tu peux venir avec tes gâteaux de la pâtisserie d’à côté, normal, ils te disent rien. Y a pas l’esprit genre : « Non, monsieur, ici vous êtes dans un établissement privé, vous consommez exclusivement nos produits ou vous quittez les lieux. »

L’avenue 2 mars, c’est aussi plein de dentistes. Mais quand je te dis plein, c’est une attraction carrément. Des écrans lumineux pour les pubs et tout hein ? Regarde bien les dents des gens, tu vas voir pleinnnnn d’adultes avec des appareils dentaires. C’est la mode ici on dirait, de se faire faire un sourire américain. Y a aussi plein d’opticiens, de kinés, de salles de sport, de hammams bien sûr, de médecins spécialistes ou généralistes. Bref. On prend soin de soi, à 2 mars. En plus, on est juste à côté du quartier des Hôpitaux, donc t’as aussi plein de boutiques de matériel médical, de linge d’hôpital, etc.

Bon, avec tout ça, tu t’es peut-être demandé pourquoi l’avenue s’appelle 2 mars ?! Bah, le 2 mars 1956, c’était la fin du protectorat français au Maroc. Et aujourd’hui, fin novembre 2014, dans l’établissement scolaire privé marocain où j’enseigne, en section internationale, les élèves marocains apprennent le programme… français. Juste à côté de la Société générale et d’Auchan. Pas loin du Crédit agricole et de Pomme de Pain. Tu me diras, ils l’apprennent pas qu’en français mais en arabe aussi. Mais bon ça, je t’en parlerai la prochaine fois insha Allah. En français et (peut-être) en arabe.

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