Le Mouvement des sans-voix (MSV) est une initiative que j’ai découverte à Paris grâce à une amie photographe qui les avait rencontrés à Dakar. En lisant quelques-uns de leurs appels, je constate qu’ils critiquent ouvertement le Forum social mondial, « grande exhibition des réseaux qui infiltrent la lutte des peuples et en ont fait leurs fonds de commerce ». Pour mon premier FSM, je trouvais intéressant de découvrir cet événement tout en prenant mes distances grâce à des contestataires.

Arrivée à Dakar, une chose est sûre : je veux trouver ce « off » du FSM. Avec Matthieu et John Paul, nous partons à la recherche d’un contact pour les rencontrer. Nous commençons par nous rendre à la bibliothèque de l’université Cheick Anta Diop, point de rassemblement pour la presse pendant le FSM. Les « volontaires » du Forum, reconnaissables à leur tee-shirt jaune, ne disposent pas de la liste des participants, et me dirigent donc vers l’UCAD 2, entrée principale de l’université. Une grande place, où fourmillent des militants venus du monde entier. Certains refont le monde lors de débats improvisés, d’autres sont à la recherche d’idées nouvelles d’un stand à l’autre. Il y a en même qui restent seuls, plantés au milieu de la fourmilière, l’air égaré.

C’est un peu mon cas : j’interroge à nouveau des « volontaires », mais personne n’arrive à me guider. Ils connaissent bien l’université, mais ils n’ont aucune info sur les participants et encore moins sur leurs emplacements !

Alors je flâne à travers les stands en espérant tomber miraculeusement sur le stand des Sans-voix. J’interroge les passants, mais rien. Je désespère, et me demande s’il ne faut pas que je trouve un autre sujet. Et là, c’est ma chance ! Un jeune homme colle une affiche : « Rassemblement bruyant devant la prison Centrale de Meubeuss. Rdv 17h devant l’école Polytechnique ». Philippe, mon formateur, nous a rejoints, et il a le réflexe de questionner le jeune homme. Il lui demande si les No Vox ne seraient pas de ce rassemblement. Réponse affirmative ! Tout n’est pas perdu…

Nous nous rendons donc à l’école Polytechnique. Je retrouve le jeune militant qui posait l’affiche, il est avec un musicien qui lui apprend à jouer d’un instrument. Ce dernier décide de m’accompagner à la tente des « No Vox », une autre appellation pour les Sans-voix. A l’écart des grands pôles du FSM, leurs tentes sont basées sur un terrain de football.

On me guide d’une tente à l’autre. « Le Forum Social Mondial est trop classique, on exhibe les pseudos intellectuels, mais il n’y a aucune action concrète sur le terrain », reproche Ismaël. No Vox, réseau d’associations de plus de dix pays, tente d’exercer un contre pouvoir en toute autonomie par rapport aux institutions et pouvoirs politiques en menant des actions concrètes sur le terrain. Ils organisent des marches devant les ambassades, il leur arrive même de faire des « séquestrations de bureau ». Les No Vox sont-ils un groupe extrême ?

Alkaly, chauffeur, ajoute : « Les No Vox, nous sommes des déguerpis ». Beaucoup ont été virés de leur habitat par des promoteurs immobiliers. N’étant pas propriétaires des terres sur lesquelles ils vivent, ils sont contraints de quitter les lieux, car la justice n’est pas en leur faveur. Je rencontre des femmes et des hommes venus du Bénin, du Burkina Faso et du Mali grâce au convoi mis en place. Ils sont arrivés avec cinq cars qu’ils appellent « caravane ».

Pour la première fois, dans ce forum, ce sont les victimes que j’entends. Ils prennent le temps de me raconter leur histoire et leur combat. C’est le cas de Fanta Coulibaly, maraîchère : « Les autorités maliennes m’ont retiré mon travail, je n’ai plus de quoi vivre. Grâce à l’association l’Union dans ma ville, je ne suis plus seule dans mon combat. On est plus fort tous ensemble. » Ils sont si fiers de dénoncer et de revendiquer la lutte sociale qu’ils dégagent naturellement force et détermination. Rassemblés autour de moi telle une famille, ils s’aident mutuellement, en me traduisant les propos des uns et des autres.

Plus loin, à droite, une femme est entourée d’hommes qui lui tendent des ordonnances au nez. « Arrêtez de m’embêter avec vos ordonnances, je ne peux pas les rembourser, vos femmes sont plus débrouillardes que vous », lance Annie. C’est l’une des fondatrices de No Vox. Militante acharnée, elle a d’abord été activiste au sein de l’association Droit au logement (DAL). « On est des révolutionnaires ! On se regroupe tous ensemble et on avance », lâche-t-elle avec le soutien affiché du groupe. Je reste sceptique quant à leur démarche. No Vox rentre-t-il dans ces clichés où le blanc vient en aide aux pauvres ? « Nous, on donne la parole aux victimes, sans jouer les misérables. On s’organise pour faire converger les luttes », répond Annie. Elle semble porter ce mouvement, et cela s’en ressent dans son rapport au groupe, telle une maman poule… Les No Vox viennent de pays où on laisse très peu s’exprimer la population, les pauvres et les opprimés. Des événements comme le FSM sont l’occasion pour eux de se faire entendre des ONG mais aussi des médias.

N’Fanteh Minteh

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