La question du devoir de mémoire est récurrente dans nos sociétés contemporaines : il s’agit d’admettre le passé pour (re)définir le présent. Mais qu’en est-il de la mémoire de l’esclavage ? Les pouvoirs publics viennent seulement d’amorcer ce devoir d’entretenir le souvenir des crimes passés. Une démarche qui se traduit généralement par des textes de loi et des journées de commémorations.

En France, la loi Taubira du 21 mai 2001 a reconnu la traite négrière et l’esclavage comme des crimes contre l’humanité. En 2006, une journée de commémoration de l’esclavage et de son abolition a été fixée au 10 mai. Il a fallu près de cinq siècles pour reconnaître officiellement cet épisode sombre de l’histoire de l’humanité. Mais cette mémoire est-elle la même pour les responsables et pour les victimes ?

Reporter citoyen a choisi d’explorer cette question à travers plusieurs escales dans le monde : en partant de Bordeaux, qui assume difficilement son passé de port négrier ; une petite escale à l’île de Gorée, lieu symbolique de la mémoire de la traite des esclaves en Afrique ; un arrêt sur un témoignage au Burkina Faso, pourtant si loin des côtes mais pas pour autant épargné ; enfin atterrissage à Saint-Denis, quand les familles d’esclaves antillais retrouvent leur nom.

La mémoire noire de Bordeaux

Quai des Chartrons. Une minuscule plaque, à même le sol, loin du passage piéton, face au port. C’est le combat qu’a mené l’association Diverscités pour que la ville de Bordeaux assume son passé sur l’esclavage et reconnaisse son devoir de mémoire. A l’origine, cette plaque commémorative devait être deux fois plus grande et exposée à la vue de tous. L’idée étant de créer un mémorial pour que ce passé soit apaisé et que l’on puisse en discuter calmement. A l’occasion de l’Université d’été, l’association Diverscités a proposé un circuit qui revisite cette autre facette de l’histoire de Bordeaux.

Ainsi pendant deux heures, nous sommes revenus aux temps de la traite négrière, en parcourant les rues anciennement décor de ce crime. Un peu plus loin, à l’esplanade Quinconces, la famille Gravier, pour répondre à la demande des habitants, avait bâti un zoo humain. Y étaient exposés des noirs qui « jouaient » aux animaux car ils étaient considérés « comme étant une civilisation sauvage plus proche de la nature que de la culture», nous explique le guide. Sur l’autre rive de la Garonne, au loin, on peut apercevoir le square Toussaint Louverture, du nom d’un esclave haïtien affranchi qui s’est révolté contre Napoléon Bonaparte en 1791.

Dans une écoute attentive, on apprend que le buste en bronze lui rendant hommage n’a pas été financé par les Bordelais mais par les Haïtiens. Au cours de la visite, le guide nous invite à rechercher des traces sur l’architecture des bâtiments. Stupéfaites, nous voyons bel et bien des portraits de noirs. Dernière étape : le Triangle d’Or, quartier général des armateurs. Au XVIIIe, la population noire s’est accrue rapidement, conséquence directe du commerce des hommes. C’est pourquoi il a fallu les répertorier dans un premier temps voire même plus tard limiter leur entrée. Aujourd’hui Bordeaux renoue avec son passé, si terrible soit-il ?

Fatoumata Diallo et N’Fanteh Minteh

Gorée, le choc de la Maison des esclaves

En septembre, lors de son séjour au Sénégal dans le cadre du projet « Jeunes reportes migrants », Anglade, jeune Stanois originaire d’Haïti, a pu visiter l’île de Gorée, au large de Dakar. Il nous livre ses impressions.

« Comme le bateau approchait de l’île, j’ai senti que je frissonnais. J’avais peur de ce que j’allais savoir en allant là-bas. Bien sûr, j’avais entendu parler de l’esclavage à l’école, j’avais même visité des maisons d’esclaves en Haïti. Mais je savais que là, j’allais voir les lieux du départ, connaître les histoires concrètes… Quand je suis descendu, je me suis dit : voilà, peut-être qu’un de tes ancêtres est passé par là… J’étais en silence, incapable de parler.

A première vue, l’île est très belle, conviviale, presque festive… J’étais partagé en voyant cela : peut-on se permettre d’être joyeux au milieu de tant de souffrances ? Les belles couleurs ne peuvent pas apaiser la souffrance. En voyant sur la plage tous les visiteurs, ethnies et couleurs de peau mélangées, je me suis demandé pourquoi il y avait eu toute cette violence. La cohabitation d’aujourd’hui montre l’absurdité du racisme et de l’esclavage d’hier.

En entrant dans la Maison des esclaves, j’ai vu la porte de l’aller sans retour, ouverte sur la mer. Je me suis imaginé en esclave montant dans une embarcation. Qu’est-ce que j’aurais fait moi-même si j’avais dû franchir cette porte ? L’homme qui nous faisait visiter la Maison parlait au milieu d’un silence total, on n’entendait que le bruit des vagues. Il racontait les femmes séparées de leurs maris et de leurs enfants, les esclaves que l’on castrait, ceux qu’on jetait aux requins parce qu’ils ne prenaient pas assez de poids… La colère montait en moi, pacifique, sans éclat. Je pleurais aussi, mais à l’intérieur, sans que les larmes viennent. Surtout, je me demandais : pourquoi ? Pourquoi les hommes peuvent-ils être aussi cruels ? Pourquoi la violence se reproduit-elle tout le temps ? Pourquoi Dieu a-t-il laissé tout cela se faire ? Autant de questions sans réponses…

Au retour, j’ai échangé avec Chiara, une Italienne d’origine ukrainienne, et Lebou, le Sénégalais qui nous accompagnait. Nous avons parlé des discriminations et des stigmatisations, encore si fortes, qui restent la marque de cette histoire de l’esclavage.

J’avais peur en arrivant, mais le choc a encore été plus fort que je ne l’imaginais. Je pense déjà à y retourner. J’aimerais aussi y emmener ma mère, si un jour j’en ai l’occasion. C’est toute l’histoire de nos ancêtres. Il faudrait aussi que ceux qui se laissent aller à des propos ou des pensées un peu racistes aillant à Gorée : ils ne pourraient plus avoir le même discours après. »

Anglade Amédée

Burkina : plus loin, mais pas épargné

« Je me rappelle en classe de 5e, quand notre professeur nous a dit de ne pas oublier que, pendant l’esclavage, on les embarquait et les débarquait. » Adama Sukuri, alias Adams, est journaliste-animateur à la radio La voix du paysan. Ce Burkinabé, à l’époque collégien, fut choqué des propos tenus par le professeur. Au Burkina comme ailleurs, ce sont en principe les marchandises qu’on embarque et qu’on débarque en magasins. L’esclavage, Adams l’a ainsi découvert en cours d’histoire-géographie. C’est cette histoire qui lui a

permis de mesurer le degré de méchanceté et d’animosité dont l’humain peut faire preuve.

« Dans le pays des hommes intègres, il n’y a pas de traces visibles de l’esclavage, pas de lieu déterminé ou de monuments », explique-t-il. Le Burkina est un pays d’Afrique de l’ouest sans accès à la mer. Au temps de la traite négrière, le pays servait de camp de transit vers les pays côtiers comme le Sénégal ou encore la Côte d’Ivoire. Peut être moins touché que les côtes, il n’a pas pourtant pas échappé à toute cette horreur. « De toute façon, quand on les forçait à prendre le bateau, on ne faisait pas la différence entre Sénégalais et Burkinabés, poursuit Adams. Tous les pays africains ont été touchés de la même manière ».

Les esclaves étaient échangés contre du sucre, du café, du cacao, du tabac… Ces échanges se déroulaient par l’intermédiaire des rois qui vendaient leurs habitants. Au Burkina, le roi Naba aurait fait de la résistance pour empêcher ces ventes. « Ces chefs n’ont pas mesuré les dégâts qu’ils étaient en train de commettre en offrant leurs frères à des blancs. S’ils voyaient aujourd’hui le retard que connaît l’Afrique à cause de l’esclavage, ils se retourneraient mille fois dans leurs tombes », regrette l’animateur radio.

N’Fanteh Minteh

Quand les esclaves retrouvent un nom

Le 23 mai 1998, une marche silencieuse réunit 40 000 descendants d’esclaves, antillais, guyanais et réunionnais, venus honorer leurs aïeux à l’occasion du cent-cinquantenaire de l’abolition de l’esclavage. Se crée alors le Comité de marche 98 (CM98), qui « prend en charge les problématiques identitaires et mémorielles des originaires des DOM dans le but d’améliorer leur insertion au sein de la République ».

Depuis, chaque année, le CM98 organise une journée de commémoration à la mémoire des victimes de l’esclavage colonial, qui a trouvé un écho officiel grâce à la circulaire Fillon du 2 mai 2008. Pour LaTéléLibre, Justine, Reporter citoyen à Boulogne-Billancourt, a couvert cette manifestation, qui coïncidait avec la sortie du livre « Non An Nou ». Voici son reportage vidéo.

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