Affiche du film. Crédit : Houria Mabrouk
Affiche du film. Crédit : Houria

Dans le courant du mois de novembre, à Paris, a eu lieu la projection du documentaire « Derrière les fronts », de la réalisatrice française Alexandra Dols. Le film traite des effets psychologiques de l’occupation israélienne des territoires palestiniens. Un débat a été organisé après la diffusion du film en présence du docteur Samah Jabr, qui témoigne dans le documentaire.

La foule va et vient à l’intérieur du petit hall du cinéma l’Espace Saint-Michel, avant la projection du documentaire « Derrière les fronts », réalisé par Alexandra Dols. Sur le flyer sont imprimés les mots du docteur Samah Jabr : « Les gens parlent toujours de libérer les terres palestiniennes, mais pour moi il est important de libérer l’esprit des Palestiniens ». Et alors que l’on peut penser qu’il s’agit d’un énième film sur la situation en Palestine et dans la bande de Gaza, on découvre qu’il s’agit d’une approche particulière : la question psychologique.

Samah Jabr, qui habite Jérusalem, est psychiatre, psychothérapeute et écrivaine palestinienne. C’est cette femme que l’on retrouve sur le seuil du cinéma, éclairée par la lumière jaune de la célèbre librairie adjacente. Elle répond en souriant aux sollicitations des partenaires du film et des spectateurs mus par la cause palestinienne, qui se pressent autour d’elle avant le début du film.

Un film qui, pendant deux heures, explique l’impact psychologique de « l’occupation et de l’oppression » – termes assumés par l’équipe du film – de la Palestine, et plus particulièrement de la bande de Gaza. Tour à tour la dépression, l’anxiété et la paranoïa sont les éléments évoqués dans le documentaire comme autant de conséquences de cette colonisation.

« Ma rencontre avec la pensée de Samah »

En 2008, lorsqu’elle achève la réalisation de son documentaire « Moudjahidates », qui relate l’histoire des résistantes algériennes pendant la guerre d’Algérie, Alexandra Dols continue ses recherches sur la décolonisation. Elle tombe sur les écrits de Frantz Fanon, très impliqué dans la décolonisation algérienne. Alexandra Dols explique que le psychiatre antillais « posait les bases de l’idée qu’il n’y a pas de libération, pas de décolonisation possible sans la décolonisation des esprits ». Cette approche « forte » retient son attention, et elle se demande alors comment proposer une réflexion sur les outils qui peuvent servir la désaliénation. De fil en aiguille, elle tombe sur les travaux de Samah Jabr sur l’impact de l’oppression. Alexandra Dols prend contact avec elle à fin 2012, et la réalisation du documentaire démarre au début de l’année suivante.

Samah Jaber et Alexandra Dols. Crédit : Houria Mabrouk.
Samah Jaber et Alexandra Dols. Crédit : Houria Mabrouk.

Les raisons du mal-être : l’attaque psychologique plus que physique

Contrairement aux images que la communauté internationale est habituée à voir, ce ne sont pas tant les combats armés que les chocs traumatiques liés à ce qui est clairement nommé « colonisation » qui sont traités dans le film. À travers les événements d’actualité remontant à 2013, passés en revue dans le film, ainsi que des séquences montrant le travail menés par le docteur Jabr, ce documentaire tend à démontrer l’impact de l’occupation israélienne sur les esprits et sur le mental des Palestiniens.

Avec Samah Jabr, on voyage à travers la Cisjordanie, la bande de Gaza et la ville de Jérusalem. Le début du film retient l’attention du spectateur avec des plans filmés montrant les grands axes vivants et colorés de la bande de Gaza, cette parcelle de territoire sous blocus. Des images mêlées aux premiers témoignages des patients du docteur : Samah Jabr explique alors la cause des traumatismes et autres troubles psychologiques. Les premiers extraits révèlent l’impact de l’emprisonnement sur le mental. Ainsi le film nous montre un homme dans la rue, qui sort tout juste de, prison et une femme en dépression suite à la perte de son fils, tuée par l’armée israélienne.

A travers l’expérience de cet homme, on découvre la vie effroyable de la prison. Cet endroit, pour les Palestiniens, est moins un lieu de détention qu’un lieu de torture physique et morale, selon le film. À travers des croquis, on a l’impression de feuilleter un guide des torts et de contentions les plus sordides qui soient. Des techniques qui visent à provoquer un mal être et la perte de soi, explique le film.

La perte de soi, par l’isolement de la prison, mais aussi par l’impact que peut avoir la restriction de circulation imposée aux hommes, ainsi les célèbres images de checkpoints viennent également nourrir le sujet en montrant des centaines de mètres de file d’attente. A pied ou en voiture, il faut attendre, attendre et encore attendre… que l’on veuille se rendre au travail ou à l’hôpital en urgence, le franchissement des checkpoints n’est jamais garanti, explique Samah Jaber, car il est nécessaire d’avoir un permis dont on ne sait jamais si il est valide. Cette attente engendre des sentiments de frustration et d’impuissance qui ne peuvent être exprimés.

Un retour sur l’histoire

« Derrière les fronts » relate également les événements de l’année 2014 avec un rappel du cercle vicieux de la vengeance : cette année-là l’enlèvement et le meurtre de trois adolescents israéliens vivants dans des colonies, suivis de l’enlèvement d’un jeune Palestinien et l’arrestation de centaines de Palestiniens en Cisjordanie, débouchera sur la guerre de Gaza. Samah Jabr évoque aussi un autre type d’impact : le trauma transgénérationnel qui touche directement l’attachement des gens à leur histoire.

On suit les acteurs du documentaire dans les ruines du village de Deir Yassin, près de Jérusalem. Les vestiges sont tagués : « Mort aux Arabes ». Ce lieu historique rappelle la Nakba de 1948, l’exode palestinien précédé par des massacres de la population. Une plaie ouverte pour les Palestiniens.

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Un front citoyen pour une lutte pacifique

Dénoncer l’impact psychologique des actes de l’armée israélienne ou de certains colons (ils sont évoqués dans le films comme étant auteurs de tentatives d’enlèvements par exemple) sur la population n’est pas l’unique but du film. Alexandra Dols précise que l’objectif est « d’essayer sans être exhaustif, de restituer un front multiple, une société complexe ».

Aux côtés de Samah Jabr, ce sont des universitaires, des citoyens résistants ou encore des groupes confessionnels comme les chrétiens de l’église grecque orthodoxe, qui témoignent du quotidien de la Palestine. Ainsi le film donne à voir le combat de Rula Abo Diho. Cette femme, emprisonnée pendant neuf ans dans sa jeunesse, est aujourd’hui Maîtresse de conférence à l’université des femmes de Jérusalem. On découvre aussi Khoder Adnan, un citoyen ordinaire : boulanger et ex-prisonnier politique, qui a entamé sa troisième grève de la faim pour obtenir un procès équitable. Le film se poursuit avec une longue interview de l’archevêque Théodosios, qui exprime le lien solide qui le lie à la population palestinienne musulmane et, se fait porte-voix de sa communauté, en rejetant le service militaire obligatoire dans l’armée israélienne des chrétiens grecs orthodoxes.

Tous se disent unis pour préserver leur histoire commune, celle d’un peuple, celle d’un territoire. Car ces expériences individuelles, témoignent du fait que c’est le coll« ctif : le “sumud palestinien”, la “détermination”, qui est attaquée.

Sortir de la projection plein d’espoir

A la différence d’autres documentaires, il n’y a pas de sentiment de fatalisme à la sortie de la projection. C’est du moins l’impression dont font part les spectateurs lors du débat organisé par l’équipe du film et l’Espace Saint-Michel. Parmi les personnes présentes, la Ligue des droits de l’homme, association partenaire du film, des militants habituels de la cause palestinienne comme le mouvement BDS (Boycott Désinvestissement Sanctions), mais aussi des spectateurs lambda. Comme cette femme qui a témoigné de son ressenti : « Comme beaucoup de gens, j’ai vu énormément de documentaires sur la Palestine. On ressort souvent avec une impression de tristesse. Mais ici, on est pris par l’énergie que dégage le film. Le traitement qui en est fait, cette manière de rationaliser les choses à l’aide d’un cadre psychologique clair, m’a aidée à comprendre la mécanique qu’il y a derrière. » Une impression partagée par d’autres spectateurs.

« C’est un film sur le sumud palestinien… Pour moi, sans être dans l’angélisme, dans l’illusion, il y avait aussi un enjeu de ne pas faire un film qui accable… Les intervenants du film portent ça avec force et détermination. Ils ont choisi de faire face. La moindre des choses était de réussir à restituer ce souffle, ce rythme et cette vie », a conclu Alexandra Dols.

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