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Ubuesque. Pour un étranger, renouveler ses papiers est un parcours du combattant. Dès 4h du matin, des files d’attentes se dessinent aux portes de nombreuses préfectures en région parisienne. Reportage en immersion !

Par Kaba Mousso…

« J’inscris mon nom, mon prénom et mon rang sur une espèce de liste noire »…

5h42 du matin ! Dès le rond point, c’est une quarantaine de silhouettes que l’on aperçoit aux aurores, en plein cœur d’une cité administrative dans une ville de la région parisienne. Elles font la queue devant une préfecture, au mieux pour renouveler un titre de séjour, au pire pour une première demande de réfugié…

Les mouvements de têtes d’avant en arrière, rythmés par des « woyohooo ! » et des « oulala ! » de lamentations font penser à des danses rituelles. Tous semblent essayer de composer avec la pluie et les flocons de neige de plus en plus abondants, sur fond de température négative.

Le pittoresque de la situation n’a pourtant rien de romantique : les personnes sont parfois dans la file d’attente depuis 3h ou 4h du matin. « Eh ! Tu viens d’arriver ? Je te conseille vivement d’aller t’inscrire sur la liste ! », me lance un homme noir, trapu, de taille moyenne au visage cerné de fatigue. « Oui oui ! C’est comme ça sinon tu va perdre ta place ! »,  poursuit un autre homme, mince, la tête couverte d’un bonnet, noyant la moitié de son visage. La fameuse liste est en réalité un moyen officieux trouvé par les étrangers pour s’organiser, éviter l’anarchie et les querelles susceptibles de naître dans les rangs des usagers. Selon la foule, cette liste clandestine est reconnue et validée par la Préfet et même par les autorités policières !

Tous sont là, déterminés à m’intégrer dans le club très sélect des résidents étrangers vivant en France.

Etonné de cette nouvelle organisation spontanée des ces immigrés pour maintenir un « ordre public », je suis mécaniquement les directives de ces experts et j’inscris mon nom, prénom et rang sur une espèce de liste noire dont le gardien n’est autre qu’un étranger.

Bienvenue au service étranger…

 « On a connu pire que ça ! Les gens traversent des fleuves pour venir ici, ce n’est pas le froid qui va nous arrêter ! »

Nous sommes prêts pour 4h d’attente dans le froid, puisque la préfecture ouvre ses grilles à 7h du matin et le bâtiment à 9h. « Je pense que la France veut nous décourager, ils nous laissent dans le froid ! Il pourrait au moins mettre une bâche ! », soupire un jeune homme. « On a connu pire que ça ! Les gens traversent des fleuves pour venir ici, ce n’est pas le froid qui va nous arrêter ! », rétorque un rasta d’une quarantaine d’années.

Au fil des minutes, des quarts d’heures et des heures, la file est de plus en plus dense et longue.  Elle s’entre mêle de visages exotiques, d’accents chantants et de langues fantastiques ! Une femme blonde derrière moi d une petite voix semble parler une langue slave au téléphone, un couple de vieillard pakistanais pratique lui un urdu dynamique !  Sans compter les locuteurs congolais commentant le match de la CAN en lingala.

Pas besoin de visas pour faire le tour du monde, le monde est là.

Le monde est là mais à y regarder de plus près, les visages traduisent aussi de l’anxiété, de l’angoisse et du souci.

Et pour cause la plupart d’entre eux sont là pour un « simple » renouvellement de titre de séjour, un précieux sésame qui permet de séjourner sur le territoire national et surtout qui « autorise son titulaire à travailler », comme il en est fait mention sur la carte.  « Séjourner en France n’est pas un droit, et puis être français ça se mérite », m’avait en effet rappelé il y a quelques années un agent administratif au guichet de cette préfecture.«Un étranger doit gagner sa place en France, il doit le mériter !», me prévenait un agent de la préfecture en février 2013 lors d’un entre de motivation pour une naturalisation…

« Vous n’avez pas compris que l’intégration se fait par les ressources en France. Vous savez plus ils [les services de la préfecture] délivrent de titre de séjour moins on vous voit… »

Ce matin-là, après 7 heures d’attente, à la vue du numéro E20 affiché sur les écrans je me présente au guichet et au lieu de bonjour ont me dit « Oui ?! ». Je garde mon calme et me dit que peut-être, oui peut-être, compte tenu de l’actualité et de l’atmosphère anxiogène qui règne je me faisais des films.

La suite n’est pas meilleur, entre les soupirs les « mais, vous savez lire ?! Vous n’avez pas compris que l’intégration se fait par les ressources en France, vous savez moi plus ils délivrent de titre de séjour moins on vous voit… », me lance-t-on. On s’intègre donc en participant financièrement.

L’INSEE (Institut national de la statistique et des études économiques) a recensé en 2010, 165 292 immigrés dans l’Essonne…

Autant de personnes susceptibles de faire la queue dans le froid, autant de dossiers qui submergeraient le trop peu d’agents des guichets de cette préfecture. Une situation incongrue qui génère des frustrations et parfois des incompréhensions, voire un sentiment d’injustice face aux traitements administratifs.

L’enjeu pour l’avenir est d’apprendre à vivre ensemble, faire de ce multi culturalisme un réel atout pour la France et les générations à venir.  Tout en prenant en compte la complexité que cela a, pour une génération à double héritage.

Sans doute faudrait-il intégrer ce double aspect au débat républicain, sans que cela s’inscrive dans un conflit de loyauté pour les jeunes « issus de l immigration », ou au pire dans une schizophrénie qui a parfois un dénouement dramatique…  C’est tout le défi.

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