Des quatorze ex-colonies françaises d’Afrique qui ont proclamé leur indépendance voilà cinquante ans, seul le Gabon, qui occupe le 103e rang sur 182 pays à l’indice de développement humain (IDH*), ne figure pas parmi les 50 pays les plus pauvres du monde. On se demande ce que célèbrent réellement ces Etats. Pas leur indépendance économique et monétaire, en tout cas.

Pourquoi ne pas simplement rendre hommage à tous ceux qui ont participé à libérer ces Etats du joug de la colonisation et investir dans des systèmes scolaires ou hospitaliers au lieu de dépenser des sommes considérables pour des festivités qui ne permettent pas aux Etats d’avancer ? Tout bêtement parce que la France exerce encore un contrôle sur ses anciennes colonies : le 1er avril 2010, le gouvernement français a communiqué le budget réservé à ces quatorzee anciennes colonies. Merci à Paris pour cette politique d’aide qui impose des conditions d’utilisation : 16,3 millions d’euros qui serviront au financement de manifestations culturelles et sportives… uniquement ! Et si on allait demander à ces Africains s’ils préfèrent danser ou aller travailler pour manger ? Mais ce que la France dit, l’Afrique dispose ! Voilà des siècles, alors que les Africains n’avaient rien demandé, la France s’imposait une mission civilisatrice ; aujourd’hui, l’Afrique ne jure que par cette mère adoptive, qui se soucie plus de ses propres intérêts que de l’avenir de ses nations. L’indépendance en Afrique, il serait pourtant temps d’y aboutir… en commençant par mettre fin à l’imbroglio monétaire.

Au lendemain de la décolonisation, et pour conserver les liens qui les unissaient sous l’administration coloniale, sont apparues quatre institutions financières d’Afrique francophone :

– l’Union économique et monétaire des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Uemoa*) ;

– la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac*) ;

– la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO*) ;

– la Banque des Etats de l’Afrique centrale (BEAC*).

« Maman France », au terme de sa mission civilisatrice et dans un élan de solidarité, n’a pas hésité à s’auto-attribuer un rôle de garde du corps des institutions financières de ses anciennes colonies. Le gouvernement français, en bon protecteur, a fait savoir sa « détermination à poursuivre ses relations dans un esprit de compréhension mutuelle, de confiance réciproque et de coopération, notamment dans les domaines économique, monétaire et financier ».

Ainsi, le 4 décembre 1973, ont été signés à Dakar les accords de coopération monétaire entre la République française et les institutions financières d’Afrique francophone. Des accords qui reposent entre autres sur la convertibilité de la monnaie des institutions signataires (le franc CFA*), c’est-à-dire sur le fait de pouvoir échanger, convertir la monnaie contre de l’or ou des devises étrangères. Sauf qu’en l’espèce, la convertibilité est restreinte à l’euro, en échange d’un dépôt de 65 % de la réserve de change de la BCEAO et de la BEAC sur un compte du Trésor public français pour obtenir une garantie de convertibilité inutile (environ 8 milliards de francs CFA à ce jour, soit plus de 1,2 millions d’euros).

Sous prétexte de convertibilité, ces pays d’Afrique francophone ont renoncé à leurs responsabilités monétaires. Les dirigeants n’ont-ils pas conscience qu’une monnaie non convertible, donc non transférable, permettrait un contrôle renforcé et une meilleure gestion de toutes les opérations impliquant un échange de devises ? Ce qui diminuerait considérablement la corruption !

Comment parler d’indépendance si la gestion de la réserve de change est effectuée par une institution française, ce qui veut dire que l’utilisation de la monnaie requiert son accord préalable ? D’autant que les intérêts que le Trésor public français verse aux institutions financières africaines qui y détiennent un compte est comptabilisée dans l’aide publique au développement de la France. Les dirigeants africains soufrent-ils de myopie ou font-ils semblant de ne rien voir ? L’« aide » qui leur est versée est prélevée sur leurs comptes, le Trésor public s’approprie leurs intérêts et leur reverse au nom d’une solidarité bafouée.

Au lieu de subir, les anciennes colonies françaises d’Afrique pourraient créer une union monétaire regroupant tous les organismes régionaux (BCEAO, BEAC, etc.). Ceci leur permettrait de changer de monnaie (rompre définitivement avec le « franc »), mais surtout de décider de la dévaluer ou pas. Ainsi pourrait être évitée d’humiliantes dévaluations, comme celle de 1994 lorsque la France a justifié cet acte par la surélévation du franc CFA par rapport aux autres monnaies, ce qui n’a pas manqué de détériorer l’économie déjà fragilisée des Etats de la zone CFA.

Mais après tout, à qui la faute ? Pourquoi existe-t-il des barrières douanières entre l’Uemoa et la Cemac et pourquoi les échanges inter-africains sont-ils quasi inexistants ? Comment envisager une autonomie financière si la zone est incapable de se développer à l’échelle régionale ? D’autant que, pour quitter la zone CFA, un Etat doit avoir au préalable soldé la totalité de ses dettes auprès du FMI*. Difficile  de se sortir de ce cercle vicieux, mais l’unité reste un espoir pour le développement de l’Afrique.

Si certains y voient une utopie, une Union africaine symboliserait le renouveau. Une communauté dotée d’une souveraineté monétaire et économique, symbolisée à travers une levée des barrières douanières au sein de l’union, sans le consentement de la France et des administrateurs français qui siègent au Conseil d’administration de la BCEAO et de la Cemac : les décisions étant prises à l’unanimité, le consentement est de facto indispensable. Imagine-t-on un administrateur africain à la Banque de France ?

A quand la fin de l’intervention française dans la gestion monétaire de ses anciennes colonies ? A quand l’indépendance ? Au bout de cinquante ans, il serait peut-être temps d’y songer.

Fatoumata Diallo

LEXIQUE

* Union économique et monétaire des Etats d’Afrique de l’Ouest (Uemoa). Veille à la mise en place de politiques d’intégration économique (compétitivité, convergence, harmonisation fiscale et création d’un marché commun) de ses Etats membres : Benin, Burkina-Faso, Côte d’Ivoire, Mali, Niger, Sénégal, Togo et Guinée-Bissau.

* Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac). Remplit les mêmes fonctions que l’Uemoa pour ses six Etats membres : Cameroun, Centre Afrique, Congo, Gabon, Guinée-équatoriale et Tchad.

* Banque centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest (BCEAO). Institution d’émission des signes monétaires communs aux membres de l’Uemoa. La BCEAO a en charge la gestion de la politique monétaire des Etats membres de l’union, la centralisation des réserves de devises, la tenue des comptes des trésors des Etats membres et la définition de la loi bancaire applicable aux établissements financiers.

* Banque des Etats de l’Afrique Centrale (BEAC). Remplit les mêmes fonctions que la BCEAO pour les pays membres de la Cemac.

* CFA. Autrefois utilisé pour désigner les « colonies françaises d’Afrique », ce sigle signifie aujourd’hui soit « communauté financière africaine » (pour huit pays d’Afrique de l’Ouest), soit « coopération financière d’Afrique centrale » (pour six pays d’Afrique centrale). Le franc comorien répond aux mêmes principes.

* Indice de développement humain (IDH). Indicateur évaluant le niveau de développement humain, en prenant en compte des notions comme l’espérance de vie ou le niveau d’éducation, ce que ne fait pas le PIB/habitant.

* Fonds monétaire international (FMI). Institution internationale multilatérale regroupant 187 pays, dont le rôle est de « promouvoir la coopération monétaire internationale, de garantir la stabilité financière, de faciliter les échanges internationaux, de contribuer à un niveau élevé d’emploi, à la stabilité économique et de faire reculer la pauvreté ».

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