Comme les autres Reporters citoyens, Ayann a vécu à Dakar son premier Forum social mondial. Elle revient sur les moments forts et les impressions qui ont marqué cette semaine.

La marche d’ouverture fut belle et imposante. De nombreuses associations se sont retrouvées pour défiler, le cortège était interminable, les chants forts, et les militants représentaient le monde entier. Une manifestation à l’image du continent qui accueille ce Forum : énergique, et où les folklores de toutes les communautés se côtoient. Les voix féminines se sont aussi fait remarquer : voix gracieuses et mélodieuses, mais dont les paroles sont lourdes. Boubous et maquillages de fête portés par des femmes dont l’engagement est à la hauteur de la beauté.

Ce fut une démonstration de la puissance des « invisibles » : des gens de plus en plus nombreux à prendre conscience qu’on veut leur faire croire que ce monde n’est pas fait pour eux. Des participants qui se regroupent et luttent avec une foi incommensurable. Selon Abdou, un marchand que je rencontre sur le forum, on sait de quoi on parle quand on a vécu les situations qu’on ne veut plus revivre. Tous ces gens savent que ce forum leur appartient : ils profiteront des médias pour faire connaître leur combat et échangeront des expériences et des solutions avec ceux qui, à des milliers de kilomètres de là, vivent une situation similaire.

Le premier jour de notre reportage, j’ai été marquée par la justesse et la précision des témoignages reçus. Les Sénégalais, tout particulièrement, m’ont passionnée. Ils savent clairement expliquer ce qu’ils vivent, pourquoi ils sont dans cette situation, ce qui doit changer et à quoi ils ont droit.

J’ai également été étonnée de voir les rues de l’université si désertes, à part les participants au forum. Etrange. Ce jour-là, on nous a fait confiance, on nous a remerciés d’avoir donné la parole, écouté et compris.

Toutes ces rencontres, de l’imam Diane, qui lutte contre la mendicité des enfants, à Ismaël, l’étudiant qui ne trouve pas de stage, m’ont donné une leçon de courtoisie, de politesse, d’ouverture et de gentillesse. Bon, certaines m’ont aussi donné une leçon de méfiance, mais elles étaient quand même plus rares.

Photo Abdelghani Bourenane

Je ne sais pas si l’échange entre les organisations du monde s’est réellement produit, mais je sais que les Africains étaient très présents. Ils représentaient leurs pays, avec leur désir de changement, et en ont profité pour faire le pas vers l’autre car, au FSM, on se parle.

Mais on parle peut être trop. Abdou me dit que tout ces gens parlent trop. Lui n’a pas le temps de parler, il a sa vie à gagner et ses projets à réaliser, mais il est sûr d’une chose : si la révolte sénégalaise ne démarre pas avec les étudiants, ce sera avec les marchands ambulants. Et selon lui, elle est toute proche.

Le gouvernement sénégalais s’en inquiète-t-il ? En tout cas, la désinformation des Dakarois est frappante. Beaucoup de passants me demandent ce qu’est le forum et à quoi il sert. Même les étudiants qui poursuivent leurs cours ne semblent pas au courant : des milliers de « blancs » envahissent la fac, qu’importe pourvu qu’ils ne perturbent pas les examens !

Selon divers témoignages, le festival des Arts nègres, en décembre dernier, a été très médiatisé. Son logo était placardé à tous les coins de rue, on ne pouvait le manquer ni l’oublier. L’état essaierait-il d’amadouer les citoyens en les divertissant par des concerts ? Pour le détourner de cet événement mondial qui sert à la construction d’un autre monde possible ?

Depuis le temps que les Sénégalais se débrouillent sans l’aide de leurs institutions, ils savent très bien faire circuler les informations. En l’espace de deux jours, les marchands ont envahi la ville. Et l’immense campus ressemble maintenant aux puces de Clignancourt (avec le soleil en prime).

L’organisation fut quasi inexistante. Rare sont ceux qui ont pu mettre la main sur un programme. Et même ceux qui l’avaient ne trouvaient pas les ateliers aux lieux et heures indiqués. Les traductions n’étaient pas systématiquement faites.

Pour certains participants, il est temps d’arrêter de parler et de se rencontrer, il faut maintenant des actes. Pour Salomon, rappeur militant et étudiant en finance, « c’est bien beau de scander des slogans avec le poing levé, mais mieux vaut le taper sur la table quand les limites sont dépassées ».

Le dernier  jour est arrivé, j’ai senti dès l’après-midi la nostalgie de cette semaine. Les participants s’observent, c’est fini, on ne se croisera plus dans ces grandes allées. Les marchands ambulants nous font leur derniers cadeaux, ils sont sûrement les premiers à avoir apprécié notre présence ! Il y a l’intérêt financier certes, mais rappelons-nous que ces gens-là ne peuvent pas venir chez nous. Ils voyagent à travers les étrangers qu’ils rencontrent, sont curieux de ce qu’on leur raconte et garderont le moindre petit bout de papier qui vient d’un Sud-africain, d’un Américain ou d’un Français pourvu que le courant passe.

Le FSM a été accueilli par le pays de la Teranga, cette hospitalité sénégalaise dont la réputation n’est plus à faire.  Aujourd’hui certains ne comprennent pas l’objectif concret de toutes ces belles paroles. Pourtant, il est bon de discuter avec des membres d’associations qui s’investissent et réussissent à force de volonté. Encore plus dans un pays où la culture est d’ouvrir sa porte à l’autre et de le traiter comme un membre de sa famille. Nous avons appris les uns des autres, et c’est aussi ce qui fera avancer l’autre monde possible. Et puis, ce Forum a confirmé ce que les Sénégalais disent si souvent : « On est ensemble ».

Ayann Koudou

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