Dimanche 23 avril. A Compiègne, en Picardie, une famille franco-marocaine est réunie dans le salon, dans l’attente des résultats du premier tour de l’élection présidentielle. Les débats sont vifs, passionnés… jusqu’à l’annonce du verdict et les doutes, les interrogations qui s’installent. Reportage.

Dimanche 23 avril, à Compiègne, en Picardie, Samy [1], un jeune franco-marocain de 35 ans vivant près du centre-ville, vote pour le premier tour de l’élection présidentielle. Il est accompagné par sa petite sœur, Sarah, et leur amie, Selin, toutes deux âgées de vingt ans. Bien qu’ils s’entendent très bien, leurs débats sont assez passionnés. Une fois effectué ce qu’ils considèrent comme leur « devoir civique », tous les trois se rendent chez les parents de Samy et Sarah, à quelques mètres du bureau de vote, situé dans un quartier populaire, afin de prolonger leur réflexion sur l’avenir politique de la France, en attendant vingt heures et l’annonce des résultats.

Confortablement installés sur des sedaris [2] dans le salon, Samy se moque des deux étudiantes qui ont voté pour Benoît Hamon.

« On n’a que ça à faire de voter pour le PS. Je ne dis rien sur le personnage. Je pense, comme disait Audrey Pulvar, que les deux reproches qu’on peut lui faire sont son honnêteté et son altruisme. Mais jamais je ne voterai pour eux, ils ont abusé. Heureusement qu’on n’est plus à l’époque du septennat. Moi, je préfère Asselineau », affirme, d’un ton déterminé, le souverainiste de la famille.

« Justement, moi, jamais de la vie je n’aurais pensé voter pour eux, rétorque Sarah, souhaitant absolument justifier son choix comme étant de gauche. Je n’ai pas voté pour le parti, mais pour Hamon. Tout le monde le lâche juste parce qu’il est vraiment socialiste, lui. » Selin soutient son amie. « Grave ! Tous mes potes votent Hamon. C’est un vrai. Je ne comprends pas pourquoi les gens de gauche le lâchent pour Mélenchon. Franchement, qui vote Mélenchon ? En plus, il soutient le PKK [3] », s’interroge la jeune franco-turque.

« Mélenchon, je ne peux pas. Il est très fort, il parle très bien, mais sur le fond, c’est pas ça. C’est un laïciste, explique Samy, dont la foi musulmane est centrale dans son choix. Asselineau, lui, a des connaissances sur les autres religions, même s’il n’est pas forcément religieux. Il respecte tout ça. En plus, il a fait l’ENA et HEC. Il critique le système parce qu’il le connaît. Et surtout, il veut sortir de l’Europe et je pense que ce n’est pas forcément une mauvaise chose. » « Mais t’es ouf toi ! La France ne serait rien du tout sans l’Europe. Il faut juste modifier les règles de l’Union », intervient Inès, sa grande sœur, vivant à Paris, qui est revenue uniquement pour voter. Joseph, le père, s’en mêle : « Pour moi, Mélenchon, c’est le seul qui tient tête à Le Pen. Ceux qui votent Hamon n’ont pas compris ». Le débat s’enflamme. « Mais papa ! Ça me saoule les délires de voter utile. Il n’y a pas que Hamon qui n’a pas voulu d’alliance », rétorque Sarah, en fronçant les sourcils.

« En plus, ce n’est pas mathématique, on ne peut pas juste additionner tous ceux pour Hamon et tous ceux pour Mélenchon. Beaucoup de gens détestent l’Insoumis. Si Hamon s’était désisté, ils auraient voté pour Macron ou un autre, analyse Inès, l’air désolé. Moi aussi j’ai voté Hamon mais je crois que si j’avais vraiment suivi mon cœur, j’aurais voté Poutou ».

« C’est vrai qu’il est super lui, il les a tous discrédités durant les débats », acquiesce Samy, en levant son pouce comme pour insister sur la pertinence du personnage. Il trouve cependant le temps long et décide de faire une sieste sur le canapé du salon.

« Comment je stresse ! », confie Sarah. Même si elle est la seule à l’exprimer, tous partagent la même crainte. « De toute façon, on sait très bien que ce sera Macron/Le Pen », affirme-t-elle. « En tout cas, Le Pen va péter les scores », assure Inès. A quelques minutes des résultats, tout le monde se regroupe devant la télévision. « Allez le frérot, réveille-toi ! Comme ça on vit ce moment ensemble », s’exclame Sarah avec enthousiasme. Samy écarquille les yeux et se lève, mi-inquiet, mi-spectateur. Plus que deux minutes. Selin se tient la tête en laissant s’échapper des « oh la la » toutes les trente secondes. Son amie Sarah se place entre elle et son père, comme pour se protéger. Inès, les ayant quittés quelques minutes plus tôt, ne cesse de leur envoyer des SMS.

A vingt heures, le décompte apparaît sur TF1 : Macron et Le Pen, 23 % chacun. Stupeur générale. « Je le savais, mais ça fait mal de le voir », explique Sarah.

« Purée ! C’est notre premier vote et t’as Le Pen. T’as des gens qui nous serrent la main tous les jours alors qu’ils votent pour elle. C’est obligé. Franchement ça me dégoûte, c’est la merde », s’emporte Selin.

« C’est officiel, la France est raciste », résume Inès dans un SMS. « Putain ! On fait quoi maintenant ? », s’interrogent les étudiantes. « Moi je vote blanc », répond Samy. « Macron est super libéral, si ceux qui ont voté Hamon avaient voté Mélenchon, on n’en serait pas là », affirme Joseph. « N’importe quoi, rétorque sa fille. Il ne faut pas non plus se forcer à voter pour des gens qu’on ne veut pas ». « Bah voilà maintenant », réplique le partisan de la France insoumise, agacé. « C’est vraiment chaud… Je ne sais vraiment pas si je vais voter là », confie Selin. « D’un côté, on ne veut pas d’un président comme lui, un putain de capitaliste. Mais de l’autre, on ne veut pas d’elle, c’est une putain de facho », confirme Sarah.

« Matez cette vidéo ! », propose Samy, un sourire cynique aux lèvres, en leur montrant « Si Marine Le Pen était élue présidente », une vidéo humoristique de Groland qui montre l’incompréhension des électeurs du FN au lendemain de sa victoire.

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« Si elle arrive au pouvoir, la haine et le racisme seront légitimes, affirme Samy. Mais son programme économique n’est pas pire que celui de Macron ». « Franchement c’est chaud. On ne peut pas la laisser passer mais en même temps Macron abuse économiquement. Je ne sais pas quoi faire. En plus là, c’est pas 2002. Plein de gens n’iront pas voter et t’en as qui ont voté Fillon et qui vont voter Le Pen », commente Sarah. L’air soudainement grave, Samy présente ses condoléances : « RIP la France ! ». « C’est clair que la France est dead là. Mais si on ne vote pas contre elle, peut-être qu’on aura une responsabilité… Franchement, je ne sais pas quoi faire », confie Sarah, d’un ton dépité. « On a encore un peu de temps pour réfléchir », conclut Selin, tentant tant bien que mal de se rassurer.

[1] Tous les noms ont été changés à la demande des interviewés.

[2] Des canapés marocains

[3] Le PKK, Parti des Travailleurs du Kurdistan, est un groupe armé kurde considéré comme terroriste par la Turquie et plusieurs autres pays. Il vise l’indépendance des territoires aux populations majoritairement kurdes, notamment en Turquie, en Syrie, en Irak et en Iran.

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